Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
PREFACE.

tions de l’esprit, qui ne se rencontre dans l’Apologue ? C’est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l’Antiquité ont attribué la plus grande partie de ces Fables à Socrate, choisissant pour leur servir de Pere, celuy des mortels qui avoit le plus de communication avec les Dieux. Je ne sçais comme ils n’ont point fait descendre du Ciel ces mesmes Fables, et comme ils ne leur ont point assigné un Dieu qui en eust la Direction, ainsi qu’à la Poësie et à l’Eloquence. Ce que je dis n’est pas tout-à-fait sans fondement ; puisque s’il m’est permis de mesler ce que nous avons de plus sacré parmy les erreurs du Paganisme, nous voyons que la Verité a parlé aux hommes par Paraboles ; et la Parabole est-elle autre chose que l’Apologue, c’est-à-dire un exemple fabuleux, et qui s’insinuë avec d’autant plus de facilité et d’effet, qu’il est plus commun et plus familier ? Qui ne nous proposeroit à imiter que les maistres de la Sagesse, nous fourniroit un sujet d’excuse ; il n’y en a point quand des Abeilles et des Fourmis sont capables de cela mesme qu’on nous demande.

C’est pour ces raisons que Platon ayant banny Homere de sa Republique, y a donné à Esope une place tres-honorable. Il souhaite que les enfans succent ces Fables avec le lait : il recommande aux Nourrices de les leur apprendre ; car on ne sauroit s’accoûtumer de trop bonneheure à la sagesse et à la vertu : Plûtost que d’estre reduits à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes, pendant qu’elles