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LIVRE SIXIÉME.




XIII.
LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT.



Esope conte qu’un Manant
Charitable autant que peu sage
Un jour d’Hyver se promenant
A l’entour de son heritage,
Apperçût un Serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le Villageois le prend, l’emporte en sa demeure,
Et sans considerer quel sera le loyer
D’une action de ce merite,
Il l’étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.
L’Animal engourdy sent à peine le chaud,
Que l’ame luy revient avecque la colere,
Il leve un peu la teste, et puis siffle aussitost,
Puis fait un long reply, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son pere.
Ingrat, dit le Manant, voila donc mon salaire ?
Tu mourras. A ces mots, plein d’un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la Beste,
Il fait trois Serpens de deux coups.
Un tronçon, la queuë, et la teste.
L’insecte sautillant cherche à se reünir.
Mais il ne pût y parvenir.

Il est bon d’estre charitable ;
Mais envers qui, c’est là le poinct.
Quant aux ingrats, il n’en est point
Qui ne meure enfin miserable.