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FABLES CHOISIES.

Un Lievre appercevant l’ombre de ses oreilles,
Craignit que quelque inquisiteur
N’allast interpreter à cornes leur longueur :
Ne les soûtint en tout à des cornes pareilles.
Adieu voisin Grillon, dit-il, je pars d’icy ;
Mes oreilles enfin seroient cornes aussi :
Et quand je les aurois plus courtes qu’une Autruche,
Je craindrois mesme encor. Le Grillon repartit.
Cornes cela ? vous me prenez pour cruche ;
Ce sont oreilles que Dieu fit.
On les fera passer pour cornes,
Dit l’animal craintif, et cornes de Licornes.
J’auray beau protester ; mon dire et mes raisons
Iront aux petites Maisons.




V.
LE RENARD AYANT LA QUEUË
COUPÉE.



Un vieux Renard, mais des plus fins,
Grand croqueur de Poulets, grand preneur de Lapins,
Sentant son Renard d’une lieuë,
Fut enfin au piege attrapé.
Par grand hazard en estant échapé ;
Non pas franc, car pour gage il y laissa sa queuë ;
S’estant, dis-je, sauvé sans queuë et tout honteux ;
Pour avoir des pareils (comme il estoit habile)
Un jour que les Renards tenoient conseil entr’eux,
Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?
Que nous sert cette queuë ? il faut qu’on se la coupe,
Si l’on me croit, chacun s’y resoudra.