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LIVRE QUATRIÉME.

Pour l’apporter si loin ? N’eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en vostre cabinet,
Que de le changer de demeure ?
Vous auriez pû sans peine y puiser à toute heure.
A toute heure ? bons Dieux ! Ne tient-il qu’à cela ?
L’argent vient-il comme il s’en va ?
Je n’y touchois jamais. Dites-moy donc de grace,
Reprit l’autre, pourquoy vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cét argent :
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.




XXI.
L’ŒIL DU MAISTRE.



Un Cerf s’estant sauvé dans une estable à Bœufs
Fut d’abord averty par eux,
Qu’il cherchât un meilleur azile.
Mes freres, leur dit-il, ne me decelez pas :
Je vous enseigneray les pâtis les plus gras ;
Ce service vous peut quelque jour estre utile ;
Et vous n’en aurez point regret.
Les Bœufs à toutes fins promirent le secret.
Il se cache en un coin, respire, et prend courage.
Sur le soir on apporte herbe fraische et fourage,
Comme l’on faisoit tous les jours.
L’on va, l’on vient, les valets font cent tours ;
L’Intendant mesme ; et pas un d’avanture
N’apperceut ny cor, ny ramure,
Ny Cerf enfin. L’habitant des forests
Rend déja grace aux Bœufs, attend dans cette étable
Que chacun retournant au travail de Cerés,