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FABLES CHOISIES.

L’échange en estant fait aux formes ordinaires,
Et reglé par des Commissaires,
Au bout que quelque-temps que Messieurs les Louvats
Se virent Loups parfaits et friands de tuërie,
Ils vous prennent le temps que dans la Bergerie
Messieurs les Bergers n’estoient pas ;
Estranglant la moitié des Agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents ; dans les bois se retirent.
Ils avoient averty leurs gens secretement.
Les Chiens, qui sur leur foy reposoient seurement,
Furent étranglez en dormant.
Cela fut si-tost fait qu’à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux ; un seul n’en échapa.
Nous pouvons conclure de là
Qu’il faut faire aux méchans guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soy :
J’en conviens ; mais dequoy sert-elle
Avec des ennemis sans foy ?




XIV.
LE LION DEVENU VIEUX.



Le Lion terreur des forests,
Chargé d’ans et pleurant son antique proüesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets
Devenus forts par sa foiblesse.
Le Cheval s’approchant luy donne un coup de pié,
Le Loup un coup de dent, le Bœuf un coup de corne.
Le mal-heureux Lion languissant, triste, et morne,
Peut à peine rugir par l’âge estropié.
Il attend son destin sans faire aucunes plaintes ;
Quand voyant l’Asne mesme à son antre accourir,
Ah c’est trop, luy dit-il, je voulois bien mourir ;
Mais c’est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.