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LIVRE TROISIÉME.

Tasche de t’en tirer, et fais tous tes efforts ;
Car pour moy j’ay certaine affaire,
Qui ne me permet pas d’arrester en chemin.
En toute chose il faut considerer la fin.




VI.
L’AIGLE, LA LAYE, ET LA CHATE.



L’Aigle avoit ses petits au haut d’un arbre creux ;
La Laye au pied, la Chate entre les deux :
Et sans s’incommoder, moyennant ce partage
Meres et nourrissons faisoient leur tripotage.
La Chate détruisit par sa fourbe l’accord.
Elle grimpa chez l’Aigle, et lui dit : Nostre mort,
(Au moins de nos enfans, car c’est tout un aux meres)
Ne tardera possible gueres.
Voyez-vous à nos pieds fouïr incessament
Cette maudite Laye, et creuser une mine ?
C’est pour déraciner le chesne asseurément,
Et de nos nourrissons attirer la ruïne.
L’arbre tombant ils seront devorez :
Qu’ils s’en tiennent pour assurez.
S’il m’en restoit un seul j’adoucirois ma plainte.
Au partir de ce lieu qu’elle remplit de crainte,
La perfide descend tout droit
A l’endroit
Où la Laye estoit en gesine.
Ma bonne amie et ma voisine,
Luy dit-elle tout bas, je vous donne un avis.
L’Aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits :
Obligez-moy de n’en rien dire ;
Son courroux tomberoit sur moy.

La Fontaine. — I.
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