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tive a sonné, car tu as été grand et sublime ; gloire à ceux qui, les premiers d’entre les ouvriers, ont formulé d’une manière si précise les sentimens calmes et pacifiques de leurs frères !

Marie Reine.

AUX RÉDACTRICES DE LA FEMME NOUVELLE.

Née pour la liberté et la rêvant sans cesse, comme on rêve le bonheur, un destin bizarre voulait me rendre esclave. Je fus dès l’enfance enfermée dans un cloître, et je n’en sortis que pour un nouvel esclavage, plus dur peut-être, celui des pensionnats ; ma vie devait s’y passer. Tout à coup cette liberté idéale que je m’étais créée se présente à mon imagination, non plus comme un rêve ni un fantôme, mais comme une chose naturelle et possible, et qui dès-lors me devint nécessaire. Pour en venir à mon but, j’eus mille entraves ; mais enfin je secouai le joug que l’on voulait m’imposer ; et, malgré tout, je devins libre, ou du moins je crus l’être. Comme un oiseau échappé de sa volière, je courais çà et là, voulant, s’il m’eût été possible, jouir en un seul instant de la vue de l’univers. Toutes mes actions étant autant d’actes de ma liberté, me semblaient une jouissance, et je crus enfin avoir saisi le bonheur. J’étais dans l’enthousiasme du moment. Hélas ! ce moment dura peu ; cette illusion si chère s’évanouit devant les sots préjugés d’un monde peuplé d’esclaves. La mordante critique vint m’assaillir de toutes parts, et, pour garder ce que l’on appelle sa réputation, je me vis recluse entre les murs de ma chambre, isolée, solitaire, sans même qu’il me fût permis de chercher à éloigner mon ennui.

Ce fut alors que cette rêverie, qui jadis m’avait porté secours, vint de nouveau m’offrir ses mélancoliques jouis-