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Au milieu de tous ces riens, deux graves questions s’agitent : celle de l’éducation d’abord ; puis celle des femmes, traitée par vous deux, Mesdames, de la manière la plus frivole et la plus légère. Oh ! alors je me suis sentie révoltée. Vous parlez des femmes, et vous ne savez pas ce qu’elles sont, ce qu’elles souffrent ; vous parlez des femmes, et vous ne les jugez et mesurez que d’après votre individualité. Vous, femmes heureuses de la classe privilégiée, vous voulez parler des femmes, et vous ne savez parler que de vous. Vous êtes jeunes encore sans doute, riches, entourées d’êtres qui vous aiment et que vous aimez ; alors vous dites : la condition des femmes est bonne ; elles sont heureuses… Oui, fort heureuses !… Vous parlez même d’air victime, coquet et naïf… Ah ! gardez, gardez pour vous ces airs coquets et naïfs, ces complimens légers ; gardez ces mots vides et secs qui insultent à l’humanité toute entière. Je suis jeune encore aussi, Mesdames, et, comme vous, de cette classe privilégiée ; mes enfans sont bons, beaux ; … je suis entourée d’affection, … et cependant je ne suis pas heureuse, moi, Mesdames, car autour de moi je sens que l’on souffre horriblement. À cette pensée mon cœur se serre ; et quand vous vous trouvez, vous, si parfaitement heureuses, c’est que vous oubliez qu’autour de vous, au-dessus, au-dessous de vous, souffrent et périssent de toutes les douleurs et misères les plus affreuses, des êtres qui sont des femmes aussi pourtant, du moins qui seraient des femmes, si les douleurs qui les accablent ne les avaient défigurées au point de faire douter que ce sont des femmes, si la société s’était chargée de les nourrir, de leur apprendre à faire le bien, à éviter le mal. Ah ! n’entrons pas dans ces affreux détails ; depuis la mère qui souffre en son corps et en celui de ses enfans, qui lui crient : j’ai faim, jusqu’à cette jeune fille du peuple, perdue à quinze ans par l’homme qui la flatte et