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« Femmes, gardons notre esclavage tel qu’il est. » Oh ! si madame Laure était sortie comme mes sœurs et moi, des rangs des prolétaires, elle saurait ce que c’est que l’esclavage qui pèse sur la femme ! elle saurait ce que l’ordre social actuel a de douleurs à faire supporter à la mère, l’épouse, à la fille de l’ouvrier ! et en remontant un peu l’échelle sociale, elle saurait aussi ce que c’est que le despotisme de cette classe dont la raison est quasi développée et l’éducation quasi achevée. Je ne puis résister au désir de vous citer un seul exemple, parce qu’il me touche et qu’il est récent. Le mari d’une de mes amies, outré d’entendre parler de liberté, d’émancipation pour la femme, a formellement déclaré à la sienne « qu’il la regarde comme sa chose, comme sa propriété, et qu’en elle, il punira toutes celles qui voudront échapper à un joug trop oppressif. » le malheureux !… sans doute qu’il tient parole, car ma pauvre amie m’a avoué depuis peu, qu’elle ne quitterait la maison de son mari, que pour se jeter dans la Seine ! et pourtant elle est mère !… Que de suicides qui ont de pareilles causes ! puissent ces lignes, si elles lui parviennent, produire dans son âme un remords salutaire.

Mais dans la haute société, la civilisation est, il est vrai, plus avancée, un mari peut bien par son inconduite, briser le cœur de sa femme, ou la ruiner dans des chances de jeu de bourse, mais au moins les formes y sont gardées, l’ignoble brutalité est chassée à tout jamais de la bonne société ; il est vrai aussi, que pour vous, mesdames, les plaisirs de toutes espèces viennent amortir les chagrins auxquels vous ne pouvez vous soustraire ; pour vous, la critique se fait gracieuse, la science et toutes ses richesses s’empressent de se mettre à la portée de vos jeunes ans et de développer votre intelligence, le charme des beaux arts, enthousiasme votre âme dans le calme du bonheur, et rend vos peines plus légères au jour de l’adversité ; mais les pauvres jeunes filles du peuple sont aussi avides d’instruction, elles aussi, sourient à l’harmonie des beaux arts, elles aussi tressaillent à un amour bien