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siennes. Elle est chez cette fille malheureuse qui, se débattant dans des flots de misère, luttant par un obstiné travail mais dont le prix est insuffisant contre la faim qui la dévore, s’en va se vendre au vautour qui épie le moment de sa détresse pour un morceau de pain qu’elle apporte en pleurant à sa mère, vieille et infirme. Elle est chez cette femme jeune, belle, ambitieuse d’atours et de plaisirs, mais dont une famille sans fortune et sans nom ne peut satisfaire les désirs de grandeur et de gloire.

Elle est chez toi, fille de la classe privilégiée, toi dont l’enfance fut entourée de tant de soins, ta jeunesse de tant d’hommages ; toi, dont le sentiment délicat fut si bien développé par une éducation maternelle, on va te vendre aussi ; ton père te donnera pour époux, non pas celui qui sera le plus digne de toi, mais celui qui, t’apportant la plus grande somme d’argent, pourra richement acheter ta personne et ta dot ; pauvre fille ! tu es donc aussi condamnée à donner tes caresses à un étranger que tu ignores et qui ne te connaît pas, qui ne te comprendra peut-être jamais. Heureuse, dix fois heureuse, si tes yeux et ton cœur ne se sont pas portés vers un autre objet auquel il te faudra renoncer. Et toi, noble fille : des rois, ton beau front orné du diadème, est-il exempt du sceau de la prostitution qui a marqué celui de tes compagnes ? On t’a donnée, il cst vrai, comme la plus belle garantie qui pût cimenter l’union des deux peuples et il est beau de dévouer ainsi sa personne au bonheur des autres, mais dis-moi t’a-t-on bien laissé la gloire du sacrifice, t’a-t-on bien laissé la volonté de choisir entre les souverains celui avec lequel tu peux le mieux t’entendre pour instruire et diriger des masses dont tu veux le bien-être ? non, esclave de quelques diplomates, on t’a donnés sans consulter tes goûts ni ta volonté, on t’a prostituée. La prostitution est donc partout ; elle est flagrante au milieu de nous, et cependant ces mêmes hommes qui la pratiquent si ouvertement osent accuser et juger d’autres hommes parce que ceux-ci out le courage de protester contre leur immoralité, ils prononcent d’un air timoré