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sera bien étonné de le trouver, à son retour, amoureux d’une autre femme. Il devrait en être étonné, dit madame de Beaumont, et je vous assure cependant qu’il ne le sera pas ; il croit qu’on ne peut être longtemps amoureux et heureux ; mais aussi il est bien éloigné de penser, comme la plupart des hommes, qu’on peut, sans intéresser la probité, manquer à une femme ; il est persuadé, au contraire, qu’on ne saurait trop mettre de vertu dans un engagement qui trouble souvent toute la vie d’une malheureuse à qui l’on a persuadé qu’on l’aimerait toujours. Aussi, ajouta madame de Beaumont, mon frère ne s’est-il jamais permis d’engagement sérieux.

Je suis tout à fait fâchée, répondit madame de Granson, de ce que vous m’apprenez : la liaison qui est entre M. de Canaple et M. de Granson, et celle qui est entre vous et moi, m’avaient fait naître l’espérance d’en faire mon ami ; mais je crains qu’il ne soit aussi inconstant en amitié qu’il l’est en amour. Ce n’est pas la même chose, répliqua madame de Beaumont : l’amitié n’a point, comme l’amour, un but déterminé ; et c’est ce but, une fois gagné, qui gâte tout chez mon frère ; mais je doute qu’il s’empresse d’être de vos amis ; il craint de voir les femmes qu’il pourrait aimer, et vous êtes faite de façon à lui donner très légitimement cette crainte : je crois même que, quoiqu’il soit fort aimable, il ne vous le paraîtra point du tout ; car il faut encore dire ce petit trait de son caractère ; son esprit ne se montre jamais mieux que quand il n’a rien à craindre pour son cœur. C’est-à-dire, répliqua madame de Granson, qu’il fait injure