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temps sans pouvoir parler : madame de Clèves n’était pas moins interdite, de sorte qu’ils gardèrent assez long-temps le silence. Enfin, M. de Nemours prit la parole, et lui fit des compliments sur son affliction. Madame de Clèves, étant bien aise de continuer la conversation sur ce sujet, parla assez long-temps de la perte qu’elle avait faite, et enfin elle dit que, quand le temps aurait diminué la violence de sa douleur, il lui en demeurerait toujours une si forte impression que son humeur en serait changée. Les grandes afflictions et les passions violentes, repartit M. de Nemours, font de grands changements dans l’esprit ; et, pour moi, je ne me reconnais pas depuis que je suis revenu de Flandres. Beaucoup de gens ont remarqué ce changement, et même madame la dauphine m’en parlait encore hier. Il est vrai, repartit madame de Clèves, qu’elle l’a remarqué, et je crois lui en avoir ouï dire quelque chose. Je ne suis pas fâché, madame, répliqua M. de Nemours, qu’elle s’en soit aperçue ; mais je voudrais qu’elle ne fût pas seule à s’en apercevoir. Il y a des personnes à qui on n’ose donner d’autres marques de la passion qu’on a pour elles, que par les choses qui ne les regardent point ; et, n’osant leur faire paraître qu’on les aime, on voudrait du moins qu’elles vissent que l’on ne veut être aimé de personne. L’on voudrait qu’elles sussent qu’il n’y a point de beauté, dans quelque rang qu’elle pût être, que l’on ne regardât avec indifférence, et qu’il n’y a point de couronne que l’on voulût acheter au prix de ne les voir jamais. Les femmes jugent d’ordinaire de la passion qu’on a pour elles, continua-t-il, par le soin qu’on prend de leur plaire et de les chercher ; mais ce n’est