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qu’elle a eue pour moi, le même tribut de douleur que je croyais devoir à une passion véritable. Je ne puis ni haïr, ni aimer sa mémoire : je ne puis me consoler ni m’affliger. Du moins, me dit-il, en se retournant tout d’un coup vers moi, faites, je vous en conjure, que je ne voie jamais Estouteville : son nom seul me fait horreur. Je sais bien que je n’ai nul sujet de m’en plaindre ; c’est ma faute de lui avoir caché que j’aimais madame de Tournon : s’il l’eût su il ne s’y serait peut-être pas attaché, elle ne m’aurait pas été infidèle : il est venu me chercher pour me confier sa douleur ; il me fait pitié. Hé ! c’est avec raison, s’écriait-il : il aimait madame de Tournon ; il en était aimé, et il ne la verra jamais : je sens bien néanmoins que je ne saurais m’empêcher de le haïr. Et encore une fois, je vous conjure de faire en sorte que je ne le voie point.

Sancerre se remit ensuite à pleurer, à regretter madame de Tournon, à lui parler, et à lui dire les choses du monde les plus tendres : il repassa ensuite à la haine, aux plaintes, aux reproches et aux imprécations contre elle. Comme je le vis dans un état si violent, je connus bien qu’il me fallait quelque secours pour m’aider à calmer son esprit : j’envoyai querir son frère, que je venais de quitter chez le roi : j’allai lui parler dans l’antichambre, avant qu’il entrât, et je lui contai l’état où était Sancerre. Nous donnâmes des ordres pour empêcher qu’il ne vît Estouteville, et nous employâmes une partie de la nuit à tâcher de le rendre capable de raison. Ce matin, je l’ai encore trouvé plus affligé : son frère est demeuré auprès de lui, et je suis revenu auprès de vous.