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sur mon lit quatre de ses lettres, et son portrait. Mon frère est entré dans ce moment : Estouteville avait le visage si plein de larmes, qu’il a été contraint de sortir pour ne se pas laisser voir ; il m’a dit qu’il reviendrait ce soir requérir ce qu’il me laissait ; et moi je chassai mon frère, sur le prétexte de me trouver mal, par l’impatience de voir ces lettres que l’on m’avait laissées, et espérant d’y trouver quelque chose qui ne me persuaderait pas tout ce qu’Estouteville venait de me dire. Mais hélas ! que n’y ai-je point trouvé ! Quelle tendresse ! quels serments ! quelles assurances de l’épouser ! quelles lettres ! Jamais elle ne m’en a écrit de semblables. Ainsi, ajouta-t-il, j’éprouve à-la-fois la douleur de la mort et celle de l’infidélité : ce sont deux maux que l’on a souvent comparés, mais qui n’ont jamais été sentis en même temps par la même personne. J’avoue, à ma honte, que je sens encore plus sa perte que son changement ; je ne puis la trouver assez coupable pour consentir à sa mort. Si elle vivait, j’aurais le plaisir de lui faire des reproches, et de me venger d’elle, en lui faisant connaître son injustice : mais je ne la verrai plus, reprenait-il, je ne la verrai plus : ce mal est le plus grand de tous les maux : je souhaiterais de lui rendre la vie aux dépens de la mienne. Quel souhait ! si elle revenait, elle vivrait pour Estouteville. Que j’étais heureux hier, s’écriait-il, que j’étais heureux ! j’étais l’homme du monde le plus affligé ; mais mon affliction était raisonnable, et je trouvais quelque douceur à penser que je ne devais jamais me consoler : aujourd’hui tous mes sentiments sont injustes ; je paie à une passion feinte