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dont on est aimé. Je lui dis que, tant que son affliction avait eu des bornes, je l’avais approuvée, et que j’y étais entré ; mais que je ne le plaindrais plus s’il s’abandonnait au désespoir, et s’il perdait la raison. Je serais trop heureux de l’avoir perdue, et la vie aussi, s’écria-t-il : madame de Tournon m’était infidèle, et j’apprends son infidélité et sa trahison le lendemain que j’ai appris sa mort, dans un temps où mon ame est remplie et pénétrée de la plus vive douleur et de la plus tendre amour que l’on ait jamais sentie ; dans un temps où son idée est dans mon cœur comme la plus parfaite chose qui ait jamais été, et la plus parfaite à mon égard ; je trouve que je suis trompé, et qu’elle ne mérite pas que je la pleure : cependant j’ai la même affliction de sa mort, que si elle m’était fidèle, et je sens son infidélité comme si elle n’était point morte. Si j’avais appris son changement devant sa mort, la jalousie, la colère, la rage, m’auraient rempli et m’auraient endurci en quelque sorte contre la douleur de sa perte ; mais je suis dans un état où je ne puis ni m’en consoler, ni la haïr.

Vous pouvez juger si je fus surpris de ce que me disait Sancerre : je lui demandai comment il avait su ce qu’il venait de me dire. Il me conta qu’un moment après que j’étais sorti de sa chambre, Estouteville, qui est son ami intime, mais qui ne savait pourtant rien de son amour pour madame de Tournon, l’était venu voir ; que d’abord qu’il avait été assis, il avait commencé à pleurer, et qu’il lui avait dit qu’il lui demandait pardon de lui avoir caché ce qu’il lui allait apprendre ; qu’il le priait d’avoir pitié de lui ; qu’il