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femme m’avouait que quelqu’un lui plût, j’en serais affligé sans en être aigri ; je quitterais le personnage d’amant ou de mari, pour la conseiller et pour la plaindre.

Ces paroles firent rougir madame de Clèves, et elle y trouva un certain rapport avec l’état où elle était, qui la surprit, et qui lui donna un trouble dont elle fut long-temps à se remettre.

Sancerre parla à madame de Tournon, continua M. de Clèves ; il lui dit tout ce que je lui avais conseillé ; mais elle le rassura avec tant de soin, et parut si offensée de ses soupçons, qu’elle les lui ôta entièrement. Elle remit néanmoins leur mariage après un voyage qu’il allait faire et qui devait être assez long : mais elle se conduisit si bien jusqu’à son départ, et en parut si affligée, que je crus aussi-bien que lui qu’elle l’aimait véritablement. Il partit il y a environ trois mois. Pendant son absence j’ai peu vu madame de Tournon : vous m’avez entièrement occupé, et je savais seulement qu’il devait bientôt revenir.

Avant-hier, en arrivant à Paris, j’appris qu’elle était morte. J’envoyai savoir chez lui si on n’avait point eu de ses nouvelles : on me manda qu’il était arrivé dès la veille, qui était précisément le jour de la mort de madame de Tournon. J’allai le voir à l’heure même, me doutant bien de l’état où je le trouverais : mais son affliction passait de beaucoup ce que je m’en étais imaginé.

Je n’ai jamais vu une douleur si profonde et si tendre. Dès le moment qu’il me vit, il m’embrassa, fondant en larmes : je ne la verrai plus, me dit-il, je