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répliqua-t-elle, me défend de penser jamais à personne, et moins à vous qu’à qui que ce soit au monde, par des raisons qui vous sont inconnues. Elles ne me le sont peut-être pas, madame, reprit-il ; mais ce ne sont point de véritables raisons. Je crois savoir que M. de Clèves m’a cru plus heureux que je n’étais, et qu’il s’est imaginé que vous aviez approuvé des extravagances que la passion m’a fait entreprendre sans votre aveu. Ne parlons point de cette aventure, lui dit-elle, je n’en saurais soutenir la pensée ; elle me fait honte, et elle m’est aussi trop douloureuse par les suites qu’elle a eues. Il n’est que trop véritable que vous êtes cause de la mort de M. de Clèves : les soupçons que lui a donnés votre conduite inconsidérée lui ont coûté la vie, comme si vous la lui aviez ôtée de vos propres mains. Voyez ce que je devrais faire, si vous en étiez venus ensemble à ces extrémités, et que le même malheur en fût arrivé. Je sais bien que ce n’est pas la même chose à l’égard du monde ; mais, au mien, il n’y a aucune différence, puisque je sais que c’est par vous qu’il est mort, et que c’est à cause de moi. Ah ! madame, lui dit M. de Nemours, quel fantôme de devoir opposez-vous à mon bonheur ! Quoi, madame, une pensée vaine et sans fondement vous empêchera de rendre heureux un homme que vous ne haïssez pas ? Quoi ! j’aurais pu concevoir l’espérance de passer ma vie avec vous ; ma destinée m’aurait conduit à aimer la plus estimable personne du monde ; j’aurais vu en elle tout ce qui peut faire une adorable maîtresse ; elle ne m’aurait pas haï, et je n’aurais trouvé dans sa conduite que tout ce qui peut être à désirer dans une femme ! Car enfin,