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d’être aimée de vous, comme je croyais mériter de l’être, et pour me laisser dans cette résolution que j’ai prise de ne vous voir jamais, et dont vous êtes si surpris. »


Madame de Clèves lut cette lettre, et la relut plusieurs fois, sans savoir néanmoins ce qu’elle avait lu : elle voyait seulement que M. de Nemours ne l’aimait pas comme elle l’avait pensé, et qu’il en aimait d’autres qu’il trompait comme elle. Quelle vue et quelle connaissance pour une personne de son humeur, qui avait une passion violente, qui venait d’en donner des marques à un homme qu’elle en jugeait indigne, et à un autre qu’elle maltraitait pour l’amour de lui ! Jamais affliction n’a été si piquante et si vive : il lui semblait que ce qui faisait l’aigreur de cette affliction était ce qui s’était passé dans cette journée, et que, si M. de Nemours n’eût point eu lieu de croire qu’elle l’aimait, elle ne se fût pas souciée qu’il en eût aimé une autre : mais elle se trompait elle-même ; et ce mal qu’elle trouvait si insupportable était la jalousie avec toutes les horreurs dont elle peut être accompagnée. Elle voyait, par cette lettre, que M. de Nemours avait une galanterie depuis long-temps. Elle trouvait que celle qui avait écrit la lettre avait de l’esprit et du mérite ; elle lui paraissait digne d’être aimée ; elle lui trouvait plus de courage qu’elle ne s’en trouvait à elle-même, et elle enviait la force qu’elle avait eue de cacher ses sentiments à M. de Nemours. Elle voyait, par la fin de la lettre, que cette personne se croyait aimée ; elle pensait que la discrétion que