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que je sens de ce que je viens de voir ; c’est la première fois que j’ai été assez hardi pour vous parler, et ce sera aussi la dernière. La mort, ou du moins un éloignement éternel, m’ôteront d’un lieu où je ne puis plus vivre, puisque je viens de perdre la triste consolation de croire que tous ceux qui osent vous regarder sont aussi malheureux que moi.

Madame de Clèves ne répondit que quelques paroles mal arrangées, comme si elle n’eût pas entendu ce que signifiaient celles du chevalier de Guise. Dans un autre temps, elle aurait été offensée qu’il lui eût parlé des sentiments qu’il avait pour elle ; mais, dans ce moment, elle ne sentit que l’affliction de voir qu’il s’était aperçu de ceux qu’elle avait pour M. de Nemours. Le chevalier de Guise en fut si convaincu et si pénétré de douleur, que, dès ce jour, il prit la résolution de ne penser jamais à être aimé de madame de Clèves. Mais, pour quitter cette entreprise qui lui avait paru si difficile et si glorieuse, il en fallait quelque autre dont la grandeur pût l’occuper : il se mit dans l’esprit de prendre Rhodes, dont il avait déja eu quelque pensée ; et, quand la mort l’ôta du monde dans la fleur de sa jeunesse, et dans le temps qu’il avait acquis la réputation d’un des plus grands princes de son siècle, le seul regret qu’il témoigna de quitter la vie fut de n’avoir pu exécuter une si belle résolution, dont il croyait le succès infaillible par tous les soins qu’il en avait pris.

Madame de Clèves, en sortant de la lice, alla chez la reine, l’esprit bien occupé de ce qui s’était passé. M. de Nemours y vint peu de temps après, habillé