Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 1.djvu/249

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peut excuser celle que j'ai laissée naître dans mon coeur, mais quel bizarre effet du hasard s'il arrive que cette inclination, qui semble s'accorder avec ma destinée, ne serve peut-être quelque jour qu'à me la faire suivre avec douleur ! Ce fut tout ce que Consalve put entendre. La grande ressemblance de cette voix avec celle de Zayde lui causa de l'étonnement, et peut-être aurait-il soupçonné que c'était elle-même, sans que cette personne parlait espagnol. Quoiqu'il eût trouvé quelque chose d'étranger dans l'accent, il n'y fit pas de réflexion, parce qu'il était dans une extrémité de l'Espagne où l'on ne parle pas comme en Castille, il eut seulement pitié de celle qui avait parlé, et ces paroles lui firent juger qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire dans sa fortune.

Le lendemain il partit de Tortose pour s'aller embarquer, Après avoir marché quelque temps, il vit au milieu de l'Ebre une barque fort ornée, couverte d'un pavillon magnifique relevé de tous les côtés, et dessous, plusieurs femmes, parmi lesquelles il reconnut Zayde ; elle était debout, comme pour mieux voir la beauté de la rivière, et il paraissait néanmoins qu'elle rêvait profondément. Il faudrait, comme Consalve, avoir perdu une maîtresse sans espérance de la revoir pour pouvoir exprimer ce qu'il sentit en revoyant Zayde. Sa surprise et sa joie furent si grandes qu'il ne savait où il était, ni ce qu'il voyait ; il la regardait attentivement et, reconnaissant tous ses traits, il craignait de se méprendre. Il ne pouvait s'imaginer que cette personne, dont il se croyait séparé par tant de mers ; ne le fût que par une rivière. Il voulait pourtant aller à