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n'est pas si austère que celle de Léon, je trouvais aisément les occasions de la voir : Il n'y avait pourtant rien de sérieux entre elle et moi ; je lui parlait en riant de l'éloignement où nous étions l'un pour l'autre et de la joie que j'aurais, qu'elle changeât de visage et de sentiments. Il me parut que ma conversation ne lui déplaisait pas et que mon esprit lui plaisait, parce qu'elle trouvait que je connaissais tout le sien. Comme elle avait même pour moi une confiance qui me donnait une entière liberté de lui parler, je la priai de me dire les raisons qu'elle avait eues de refuser si opiniâtrement ceux qui s'étaient attachés à lui plaire. Je vais vous répondre sincèrement, me dit-elle. Je suis née avec aversion pour le mariage, les liens m'en ont toujours paru très rudes, et j'ai cru qu'il n'y avait qu'une passion qui pût assez aveugler pour faire passer par-dessus toutes les raisons qui s'opposent à cet engagement. Vous ne voulez pas vous marier par amour, ajouta-t-elle, et moi je ne comprends pas qu'on puisse se marier sans amour et sans une amour violente, et, bien loin d'avoir eu de la passion, je n'ai même jamais eu d'inclination pour personne ; ainsi, Alphonse, si je ne me suis point mariée, c'est parce que je n'ai rien aimé.

— Quoi ! madame, lui répondis-je, personne ne vous a plu ? Votre coeur n'a jamais reçu d'impression ? Il n'a jamais été troublé au nom et à la vue de ceux qui vous adoraient ?

— Non, me dit-elle, je ne connais aucun des sentiments de l'amour.

— Quoi ! pas même la jalousie ? lui dis-je.

— Non, pas même la jalousie, me répliqua-t-elle.

— Ah ! si cela est, madame, lui répondis-je, je suis persuadé que vous n'avez jamais