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du monde ; puisqu'elle m'abandonne, tout m'est indifférent et je renonce à une vengeance qui ne me pourrait donner de joie. Je me suis vu, il n'y a pas longtemps, le premier homme de tout le royaume par la grandeur de mon père, par la mienne propre et par la faveur du prince, je me croyais aimé des personnes qui m'étaient les plus chères. La fortune me quitte, je suis abandonné par mon maître, je suis trompé par ma soeur, je suis trahi par mon ami, je perds ma maîtresse et c'est par cet ami que je la perds ! Est il possible, Nugna Bella, que vous m'ayez quitté pour don Ramire ? Est il possible que don Ramire ait voulu vous ôter à un homme qui vous aimait si passionnément et dont il était lui même si tendrement aimé? Fallait il que je vous perdisse l'un par l'autre, et qu'il ne me restât pas au moins la faible consolation d'avoir un des deux avec qui me plaindre ?

Des réflexions si cruelles ne me laissaient plus l'usage de la raison ; la moindre des infortunes dont je fus accablé dans cette journée eût été capable de me donner une douleur mortelle. Ce grand nombre de malheurs me mettait de l'égarement dans l'esprit, et je ne savais auquel donner mon attention. Celui qui avait apporté la lettre de Nugna Bella, me fit dire qu'il en attendait la réponse. Je revins comme d'un songe lorsqu'on entra dans mon cabinet ; je répondis que je l'enverrais le lendemain et j'ordonnai qu'on me laissât en repos.

Je me mis encore à considérer l'état où j'avais été et celui où je me trouvais. Une si cruelle expérience de l'inconstance de la fortune et de l'infidélité des