Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 1.djvu/145

Cette page n’a pas encore été corrigée

de mon père et le mien pour son élévation. Je m'étais appliqué avec beaucoup de soin à lui donner part dans les bonnes grâces du prince, et lui, de son côté, par son esprit doux et insinuant, avait si bien secondé mes soins qu'il était, après moi, celui de toute la cour que don Garcie traitait le mieux. Je faisais tous mes plaisirs de leur amitié. L'un et l'autre éprouvaient déjà le pouvoir de l'amour, ils me faisaient souvent la guerre de mon insensibilité et me reprochaient, comme un défaut, de n'avoir point encore eu d'attachement.

Je leur reprochais à mon tour de n'en avoir point eu de véritables.

— Vous aimez, leur disais-je, ces sortes de galanteries que la coutume a établies en Espagne, mais vous n'aimez point vos maîtresses. Vous ne me persuaderez jamais que vous soyez amoureux d'une personne dont à peine vous connaissez le visage, et que vous ne reconnaîtriez pas, si vous la voyiez en un autre lieu qu'à la fenêtre où vous avez accoutumé de la voir.

— Vous exagérez le peu de connaissance que nous avons de nos maîtresses, me repartit le prince, mais nous connaissons leur beauté et, en amour, c'est le principal. Nous jugeons de lent esprit par leur physionomie et ensuite par leurs lettres, et, quand nous venons à les voir de plus près, nous sommes charmés du plaisir de découvrir ce que nous ne connaissions point encore. Tout ce quelles disent a la grâce de la nouveauté, leur manière nous surprend, la surprise augmente et réveille l'amour, au lieu que ceux qui connaissent leurs maîtresses avant que de les aimer, sont tellement accoutumés à leur beauté et à leur esprit, qu'ils n'y sont