Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 1.djvu/128

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qu’elle vous a aimé, et qu’elle vous aimerait encore, si vous n’aviez rien fait qui lui eût pu déplaire. Vous ne connaissez point l’amour, si cette seule pensée ne vous empêche d’être malheureux, et vous vous aimez vous même plus que votre maîtresse, si vous aimez mieux avoir sujet de vous plaindre d’elle que de vous. Le peu de part que vous avez sans doute à vos malheurs répliqua l’inconnu, vous empêche de comprendre quel surcroît de douleur ce vous serait d’y avoir contribué, mais croyez, par la cruelle expérience que j’en fais que de perdre par sa faute ce qu’on aime est une sorte d’affliction qui se fait sentir plus vivement que toutes les autres.

Comme il achevait ces paroles, ils arrivèrent dans la maison, que Consalve trouva aussi jolie par dedans qu’elle lui avait paru par dehors. Il passa la nuit avec beaucoup d’inquiétude : le matin, la fièvre lui prit, et les jours suivants elle devint si violente qu’on appréhenda pour sa vie. L’inconnu en fut sensiblement affligé, et son affliction augmenta encore par l’admiration que lui donnaient toutes les paroles et toutes les actions de Consalve. Il ne put se défendre du désir de savoir qui était une personne qui lui paraissait si extraordinaire, il fit plusieurs questions à celui qui le servait ; mais l’ignorance où cet homme était lui-même du nom et de la qualité de son maître, l’empêcha de satisfaire sa curiosité : il lui dit seulement qu’il se faisait appeler Théodoric et qu’il ne croyait pas que ce fût son nom véritable. Enfin, après plusieurs jours de fièvre continue, les remèdes et la jeunesse tirèrent Consalve hors de péril. L’inconnu essayait de le divertir