Page:La Corée Libre, numéro 3, juillet 1920.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 89 —

ainsi du gouvernement ; de très hauts personnages notamment y approuvaient cette triple entente, et des ouvertures du gouvernement japonais aboutiraient certainement. Ces « très hauts personnages » semblent désigner l’empereur d’Allemagne et le chancelier de Bulow. Lors des obsèques de la reine Victoria, de fréquentes conversations avaient eu lieu au Palais d’Osborne entre le roi d’Angleterre et l’empereur d’Allemagne ; attaché à ce dernier, le baron von Eckhardstein pourrait avoir connu sa pensée.

Quelle était la véritable idée du baron en me faisant cette invitation ? Me parlait-il loyalement sur des instructions officielles, dans le but d’amener cette triple alliance ? Poursuivait-il par ce moyen quelque autre objectif ? Je ne pus alors m’en assurer. En tout cas, si l’Angleterre avait bien, comme il le prétendait, le désir d’une alliance avec le Japon, la participation de l’Allemagne était une très grosse question pour nous ; il n’y avait que des avantages et nul inconvénient à sonder le gouvernement anglais. Je demandais donc de le faire avec discrétion. Le 15 avril de l’année dernière, (1901), je recevais des instructions télégraphiques me disant que « bien qu’il fut délicat d’exposer les vues du gouvernement impérial, il n’y avait point d’inconvénient — sous condition de ne point le lier — d’agir en mon nom privé et de sonder le gouvernement anglais ».

En conséquence, j’avais, le 17 avril, une entrevue avec le marquis Lansdowne. J’abordai la question chinoise, et exposai comme vue personnelle, que l’avenir de l’Empire du Milieu causait de graves anxiétés, qu’il serait important pour la paix de l’Extrême-Orient que nos deux pays prissent quelque arrangement permanent. Je questionnai le marquis sur ses vues. Il me répondit que, quant à lui, bien qu’il pensât que quelque chose devrait être fait, le gouvernement ne pouvait, en l’absence du marquis de Salisbury, délibérer sur une si grave question, mais qu’il était tout disposé à causer avec moi si j’avais quelque bonne solution à proposer. Au moment de me retirer, le marquis ajouta sous forme d’interrogation, que pareil accord ne devait pas évidemment se limiter à nos deux pays, qu’il serait bon d’y introduire un tiers. Rapprochant ces paroles de celles d’y d’affaires allemand, je conclus que le gouvernement anglais avait déjà dû discuter la question, avait peut-être même déjà sondé l’Allemagne. La phrase, « qu’en l’absence du marquis Salisbury, il n’était pas possible de traiter cette grave question » me décida À garder une attitude d’observation et d’expectative jusqu’au retour de celui-ci. Je télégraphiai la chose à mon gouvernement. Des instructions précises de ce dernier eussent été difficiles[1], étant donné qu’il s’agissait simplement d’un arrangement permanent d’ordre général entre les deux pays ; j’estimai toutefois qu’il serait commode pour la suite de l’affaire d’en établir dès maintenant et provisoirement les clauses. Je demandai donc télégraphiquement ce que le gouvernement impérial — s’il avait finalement l’intention d’une alliance — pensait d’un traité sur les bases suivantes :

1o Maintien des principes de la Porte ouverte et de l’intégrité territoriale en Chine ;

2o Interdiction à quelque pays que ce soit d’obtenir des droits territoriaux autres que ceux acquis de la Chine par traité déjà publié.

3o Le Japon ayant en Corée des intérêts de beaucoup supérieurs à ceux des autres pays, l’allié lui laissait liberté d’action vis-à-vis de la Corée ;

4o L’une des parties contractantes n’aidait l’autre dans une guerre qu’au cas où un tiers aiderait son adversaire ;

5o L’accord anglo-allemand jouerait comme avant ;

6o L’alliance visait seulement les événements d’Extrême-Orient, sa Sphère d’action ne s’étendant point en dehors.

Mais le gouvernement impérial ne me transmit pas ses vues sur ces clauses. On me répondit simplement « que le marquis de Lansdowne m’ayant dit que cet accord ne devrait certes pas se limiter à nos deux pays, il était

(1) Ce qui n’empêcha pas le Gouvernement de Tokio de simuler une tentative de rapprochement avec la Russie, comme nous le verrons plus loin, en envoyant le marquis Ito à Pétersbourg, en passant par Paris.

  1. 1