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2. — DEUX ALSACE-LORRAINE ASIATIQUES


La politique du Japon doit éveiller les plus grandes inquiétudes
Que font nos gouvernements pour en éviter le danger ?

Le Japon reparaît sur la scène où se jouent actuellement les destinées du monde. Je dis : il reparaît, ce qui ne signifie nullement qu’il n’ait pas continué dans la coulisse de préparer son rôle avec un soin méticuleux et d’habiller son personnage.

Deux faits significatifs rappellent opportunément l’empire extrême-oriental à l’attention des chancelleries. C’est tout d’abord son activité dans le Pacifique, activité que le sénateur américain Daniel vient de dénoncer à la commission parlementaire de la marine. C’est ensuite l’envoi de troupes en Sibérie sous prétexte de porter secours aux Tchéco-Slovaques.

Le Japon s’empresse de fortifier puissamment les îles que le traité de paix lui a accordées. Le Sénat américain serait vraiment par trop naïf s’il s’étonnait de ces dispositions. Il le serait encore bien davantage s’il s’interrogeait longuement sur la nature des armements variés dont nos alliés poursuivent fiévreusement la réalisation. Les Etats-Unis se sentent menacés : ils n’ont sans doute pas tort.

L’expédition de Sibérie répond au même état d’esprit. Le motif invoqué ne saurait donner le change, ni dissimuler des intentions beaucoup moins humanitaires. D’ailleurs, une note de Tokio nous avertit opportunément des suites que comportera cette descente sur le continent. En raison de la position géographique de la Sibérie et du Japon (??) et de la situation actuelle des Japonais en Sibérie (??), dont la sécurité ne peut être garantie, le Japon ne pourra retirer immédiatement ses troupes ». Et la note ajoute avec une ingénuité touchante : « Mais le Japon n’a aucune ambition politique en Russie ». Jusques à quand ?

Le gouvernement du Mikado a renouvelé son engagement d’évacuer la Sibérie aussitôt que la menace en Maudchourie et en Corée sera écartée. Ces engagements, on en connaît l’efficacité dès qu’il s’agit de puissances bien décidées à profiter de toutes les occasions pour réaliser leurs ambitions impérialistes. Ils rappellent fort à propos des promesses analogues qui furent faites solennellement à la Chine au sujet de Chantoung, et aussi la manière désinvolte dont la Corée, précisément, a été, et est encore traitée.

Nous ne rappellerons pas l’affaire du Chantoung, dont nous avons fréquemment parle et sur laquelle nous avons, en vain d’ailleurs, attiré dès la première heure, la sollicitude du Conseil suprême. Un ami des Japonais, mais un ami clairvoyant, M. Félicien Challaye, qui les connaît bien, exprime un avis semblable à celui que nous émîmes naguère, lorsqu’il prétend que les menées du Japon en Extrême-Orient ne constituent rien moins que de graves menaces pour la paix.

Personne n’a jamais nié le caractère absolument chinois du Chantoung, patrie de Confucius. Mais cette province immense, peuplée de plus de 30 millions d’habitants, possède une valeur économique considérable, et singulièrement alléchante pour l’avide voisin. Le charbon et le fer, notamment, s’y trouvent en abondance et en font un pays de grand avenir industriel. Par Surcroft, ces contrées commandent de vastes territoires. L’Allemagne et le Japon ne pouvaient pas ne pas avoir des idées identiques sur cette question. Or, voilà pourquoi notre allié, malgré sa promesse formelle de rendre le Chantoung a son possesseur légitime, frustré par la politique de Guillaume II, ne s’est pas encore exécuté. Le Japon, lorsqu’il cédait en apparence aux protestations de la Chine, ne visait au contraire qu’à asser-