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les déclarations de Lloyd Georges et du président Wilson, celle qui a trait au principe pas d’indemnité, pas d’annexion. En ce qui concerne l’Angleterre, la proclamation de ce principe équivaut à un aveu de défaite Quant à l’Amérique, point n’est besoin pour elle de répéter ce principe, si ce n’est vraiment pour l’humanité qu’elle combat. Mais ce qui prouve bien l’absurde hypocrisie de ces déclarations, c’est l’instance des Alliés à vouloir rendre l’Alsace-Lorraine à la France. Tous les arguments possibles ont été invoqués pour tenter de justifier que la restitution de ces provinces à la France n’irait pas à l’encontre des principes dont on se réclame. Pure hypocrisie, en réalité ! Si l’on demandait à l’Amérique de restituer les Philippines et Havai à leurs anciens propriétaires, croit-on qu’elle y consentirait ? Certainement, non ! Alors, l’argumentation de Wilson contre l’Allemagne pour défendre le soi-disant principe des nationalités pourrait être retourné contre l’Amérique avec juste raison.

Mais ce n’est là qu’un exemple de la futilité des arguments humanitaires en matière de guerre. Sous quelque angle qu’on l’envisage, la guerre apparaît toujours comme une violation des principes de droit et de justice. l’argumentation de Wilson peut avoir sa valeur pratique pour un homme d’État ; mais, si elle tend à défendre des principes de justice, elle est sans aucune portée. Elle n’est qu’un expédient : on n’y trouve rien qui distingue nettement ce qui est juste de ce qui ne l’est pas, elle est construite de façon assez lâche et souple pour pouvoir être interprétée comme les exigences de la situation actuelle et future de l’Amérique l’exigeront. Mieux que les mots, les faits font comprendre le sens de l’action, prétendument désintéressée, de l’Amérique. Les restrictions qu’elle impose au commerce sont-elles par exemple inspirées par des sentiments d’humanité ?

Le président Wilson déclare que l’Amérique s’est engagée dans la guerre, parce que l’écrasement de l’Allemagne doit donner au monde une paix durable. C’est dire une absurdité. Quand Mr. Asquith fit à Birmingham une déclaration semblable, il s’attira les moqueries de tout ce qu’il y a en Angleterre de gens sensés. De telles assertions sont à peine bonnes pour des imbéciles ; ce sont cependant celles que MM. Lloyd George et Wilson veulent faire accepter à leurs compatriotes. Qu’Anglais et Américains se laissent égarer par leurs dirigeants hypocrites, c’est leur affaire, et ça ne nous regarde pas ; mais il ne faut pas que nous soyons dupes. Y a-t-il quelqu’un qui croie que quand l’Allemagne a engagé la guerre c’était pour défendre le principe pas d’annexion, pas d’indemnité, ou que ce soit pour la défense du même principe que les Alliés ont pris les armes contre l’Allemagne ? L’ambiguïté de la situation a obligé tous les belligérants des deux partis à se réclamer du même principe : mais il ne peut y avoir que des hypocrites endurcis pour prétendre user de ce principe de façon désintéressée au nom de l’humanité et de la justice.

Pour quiconque juge sans parti-pris, c’est une injustice flagrante de vouloir le retour à la France de l’Alsace-Lorraine dont l’Allemagne est actuellement la maîtresse absolue ; puisqu’ils se sont engagés dans la guerre, les Alliés devront accepter le verdict des batailles, et ils n’ont aucun droit à réclamer l’Alsace-Lorraine tant que leurs armées n’en occuperont pas le territoire.

Il est également absurde d’exiger un changement de régime en Allemagne ; le sentiment qui inspire cette prétention n’est ni noble ni brave, et se trouve en opposition absolue avec le droit qu’ont les nations d’être gouvernées comme elles le désirent. Parmi les nations en guerre, c’est l’Allemagne qui s’est montrée de beaucoup la plus attachée à son gouvernement. La prétention de Wilson d’obtenir de l’Allemagne un changement de régime est une faute énorme qui a fait plus de tort aux Alliés qu’à l’Allemagne. D’ailleurs, 1’Angleterre et l’Amérique sont peut-être maintenant des pays de gouvernement plus autocratique que l’Allemagne ; depuis le début de la guerre, ces nations se sont engagées résolument dans les voies de l’autocratie, tandis que le contraire s’est produit en Allemagne où la puissance du Kaiser s’est trouvée considérablement réduite. Cela ressort des faits et toutes les discussions possibles n’y changeront rien ; et l’on peut dire que si le but des nations alliées dans cette guerre est