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Tokio, c’est bien la guerre qui est allumée entre le Japon et la Russie, guerre affectant même forme de conquête tragique.

Un jour, on apprend que les Japonais ont pris Vladivostock et ont fait flotter leur drapeau sur le grand port du nord-occidental du Pacifique, tenant le transsibérien entre leurs mains : le lendemain, on apprend que le pavillon a été retiré et que la prise du port et de la ville n’a été que le résultat d’une méprise !

Méprise singulière ; mais ce qui n’est pas une méprise c’est l’occupation par les soldats du mikado de certaines villes des bords du fleuve Amour, villes bombardées au préalable et enlevées, leurs populations livrées au massacre !

Il passerait à travers toute la Sibérie un vent de tragique affolement, l’ère des massacres étant ouverte et, par ce que l’on sait que les Japonais ont fait en Corée, on comprend l’effroi des populations sibériennes.

Le XXe siècle s’ouvrait comme le siècle de grande civilisation : Guillaume II ayant déclenché la guerre d’effroyable barbarie, l’Entente a fait triompher le Droit et la Justice : or, il se trouve que, partout, c’est l’effroyable barbarie qui s’exerce, jetant les peuples les uns contre les autres, faisant couler le sang à flots.

Et l’Occident ne paraît pas s’en préoccuper !

Les hordes d’Orient s’exercent à la lutte en leurs batailles intestines, elles se font la main aux massacres ; écoutez bien : comme aux premiers siècles, ces hordes se mettront un jour d’accord pour rouler sur les riches proies offertes à leurs convoitises par les pays d’Occident et pour assouvir leur rut sur les populations blanches, blondes et brunes qui tenteront la brutalité féroce des fils de Genjis-Khan !

Que l’Europe sache donc ce qui se passe en Extrême-Orient ; qu’elle le sache pour aviser !

C’est simple prudence.

Alexandre Bérard,
Sénateur.
(Le Radical, 13 avril 1920.)
LE JAPON ET LA SIBÉRIE

« Une dépêche de Washington publiée dans le Chicago Tribune du 7 mai 1920, annonce que les Japonais ont l’intention d’occuper en partie la Sibérie pendant une période de plusieurs années et que leurs troupes d’occupation ont été, à cet effet, puissamment renforcées.

Cette brève nouvelle est d’une signification des plus importantes. Le Japon a saisi et occupe la Sibérie, c’est là le fait le plus significatif de la politique internationale et il passe presque inaperçu. C’est le commencement d’un changement redoutable qui, en son temps, se fera sentir terriblement sur le monde.

Il est aisé d’entrevoir dans cette campagne, soigneusement dirigée, un double projet : 1o l’extension de la puissance militaire et de l’hégémonie de l’Empire Japonais ; 2o la suppression de 1’influence Européenne et Américaine en Asie, en d’autres termes, la Doctrine de Monroe Japonaise est en action.

Dans l’espace de vingt ans, le Japon a pour ainsi dire acquis toute l’Asie, mais combien faudra-t-il de temps avant que le reste ne soit absorbé ? Si l’on regarde la carte de la Chine aujourd’hui, l’étau Japonais étreint ce vaste pays de trois côtés : depuis le Foukien au sud jusqu’au fleuve Yangtse, le Chantoung à l’est et la Mandchourie ainsi que la Mongolie au nord. Le grand port de Wladivostock et les régions fertiles de la Sibérie sont maintenant sous la domination Japonaise. C’est apparemment le premier pas vers la formation d’un premier Empire du monde. Le succès de ce plan gigantesque dépend de la manière dont il sera, toléré par les autres nations Asia-