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VII.


LE SOIR AU LUXEMBOURG



Par tous les souvenirs dont l’ont peuplé nos âmes,
Et par tous ceux dont il fait vibrer notre chair,
§ Souvenirs de pensée ou souvenirs de femmes,
Le Luxembourg nous est un confident très cher.

Sur les grands marronniers de l’Ouest le soir repose,
Océan de lueurs plutôt que de couleurs
Où, parmi des courants bleus traversés de rose
Vénus nage au-dessus des arbres et des fleurs.

Dans ce décor savant de la rare culture
Où l’art italien des maîtres a passé,
La grise architecture et la blanche sculpture
Evoquent ta noblesse et ta grâce, ô passé.

La noblesse des rois et la grâce des reines
Au temps des beaux palais et des marbres anciens,
Images que pour nous ont faites plus sereines
La Mémoire et le Soir, ces deux magiciens !

Un clair-obscur élyséen idéalise
Le paysage pur aux muets horizons
Et fond en un accord parfait de clarté grise
Les urnes pâles, l’eau glauque, les bleus gazons.

Symbole d’une vie au-dessus de la vie,
Mirage vespéral aux fluides appâts,
Impression trop rare et partout poursuivie
D’un univers qui pouvait être, et qui n’est pas !

Accueillons-en du moins l’image en nos Génies
Qu’en notre âme semblable à cc calme jardin,
La nature et les arts mêlent leurs harmonies,
Comme en un bois sacré loin du fracas mondain

Qu’un peuple délicat de femmes y circule
Dont les yeux nous soit bons, dont les cœurs nous soient doux.
Surtout réalisons comme ce crépuscule
L’accord, même illusoire, entre la vie et nous !


Henry Bérenger.

Août 1890.