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NUIT D’IDUMÉE



Lazur s’est attristé. Je crois que des nuées
Passent sur les clartés d’astres, exténuées.
Un hymne a brisé l’extase silencieuse
La brume vêt une forme mystérieuse.
« Soudaine opacité de mon rêve immobile,
Bénie ! ô Vision — si mon âme nubile
Eut ignoré le deuil de tes enchantements,
Triste spectre ! et l’ennui — tous les ennuis dormans
Que tu faisais lever à ton premier paraître.
Déjà lorsque j’étais penché vers ma fenêtre
Deux fois, je me souviens, tu t’es penché vers moi ;
Et, tant ton voile était plein d’étoiles — pourquoi ?
Déjà deux fois, vers toi, mes mains se sont tendues
Sans toucher que l’Ennui des vides étendues.
— Un peu de brume qui s’accroche aux doigts, rosée,
Pan de robe déchiqueté, morte corolle,
S’évapore parmi l’espérance brisée —
Parfum dont le regret exhalé se désole.
Mes désirs vers tes yeux n’iront plus te proscrire
Je sais trop le néant que recèle ton voile
Ton pâle regard n’est malgré tout son sourire
Qu’un trou dans le brouillard où brûle un jour d’étoile :
Mes bras levés vers tes cheveux mystérieux
S’enfonceraient en vain dans tes profonds orbites,
Sans l’atteindre, astre clair, jour lointain de tes yeux.
Au souffle suppliant que ma lèvre suscite
Vers ta bouche nocturne et ton baiser obscur
S’éparpille ton voile, et la brûme envolée
Devant l’éveil du rêve a montré, désolée,
Le solitaire Ennui de l’éternel Azur.
Ah ! cesse de pencher tes sourires, ah ! cesse
De sourire, — j’ai peur de frôler ta caresse
Et que mon cœur se pâme ; ah ! cesse de pencher
Vers mon front tes cheveux où l’azur étranger
D’un ciel de rêve a répandu son bleu vertige,
Car tes cheveux fuiront parmi l’azur en pleur,
Rosée ! et quand le ciel pâlira, triste fleur,
Tu faneras dessus ta chancelante tige
Éparpillant dans l’air un sanglotant vestige
— Et je me retrouverai tout seul ! —

Il continue de se désoler quelque temps
Un peu de jour paraît aux vitres des croisées
Le brouillard se disperse et s’éplore en rosées.

Sur l’azur pâlissant déjà la nuit s’achève
Et se fanent les fleurs chimériques du rêve
En mes doigts désolés d’une si vide étreinte
Tige flétrie et corolle d’aurore atteinte