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Je marchais ; et Paris décroissait lentement,
Et déjà j’oubliais Mes haines en allées,
Quand, dans les cieux, de musicales envolées
Montèrent, conviant ma pauvre âme gaîment.



Douce chanson de l’espérance qui m’appelle !
Et voici qu’un parfum s’épand dans l’air léger.
Un souffle frais le porte et le fait voyager
Des bourgeons près d’éclore à l’herbe encor nouvelle.

Or une jeune fille aux yeux de bleu velours
Passa, vive à marcher, et j’eus d’elle un sourire.
Ses cheveux, casque d’or où le soleil se mire,
Aimantant mon vouloir firent mes pieds moins lourds.

Un charme fut soudain diffus dans la nature.
Le ciel, âme d’amour faite visible aux yeux,
Bas, avec un recul d’azur mystérieux,
Touchant à ce qui passe atteignait ce qui dure.

Et je lui dis : « Écoute, ô Bienfaisante ! Viens !
« Puisque tes pas aimés font tressaillir la terre,
« Et que de son pouvoir elle tâche à te plaire,
« Si tu veux, — car je suis captif en tes liens —

« Nous irons nous cacher en la forêt complice
« De quelque mont, là-bas, où vivent moins d’humains.
« C’est là que, joint à toi des lèvres et des mains,
« Il se peut que mon bonheur s’accomplisse.

« Oh ! ne me traîne pas au milieu des damnés !
« J’ai traversé leur foule et ma face en est pâle.
« J’ai peur ! J’entends le son de la pierre tombale
« Qu’ils touchent en marchant aussitôt qu’ils sont nés.

« Ils bâtissent dessus, te dis-je, leur demeure !
« Ils la cimentent bien avec des sueurs d’or
« Et mettent au dedans leur néant pour décor,
« Mais la bâtisse croule et le sépulcre affleure !

« Nous, si tu veux, fuyons ; nous vivrons défendus
« De l’effort que toujours à quelque autre est contraire,
« Et nos corps oubliés ne pourront nous distraire
« D’écouter nos pensers ensemble confondus.