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ANTIGONE



Un lied suprême comme un soupir de baisers
Charme de crépuscule et de douce folie
La frêle floraison de tendresse pâlie
Qui fleurit le tombeau de mes rêves brisés.

Les sons silencieux des voix semblent posés
L’aile close en les lys de ma mélancolie
Tels que des messagers qui viendraient d’Idalie
Caresser la langueur de désirs épuisés.

Mon cœur est un jardin d’automne où des violes
Se lamentent, le soir, mystérieusement :
Des colombes d’amour s’y plaignent, endormant

La mort des roses par des plaintes sans paroles,
Et l’âme nostalgique écoute infiniment
Soupirer le suprême arôme des corolles.



Sœur des sœurs, Antigone, Antigone, le soir
L’isolé se souvient de tes yeux d’ange-femme,
De la paix que ton âme exhalait en son âme
Et de tes pleurs bénits mieux qu’une eau d’aspersoir :

Je t’offre à deux genoux ma tristesse, encensoir
Où brûlèrent pour toi mes rêves, Notre-Dame
D’Hellas, ô Vierge morte avant l’épithalame,
Sainte dont la douceur fut mon seul reposoir !

D’éternité je suis, Antigone, ton frère :
Mais las ! nos Dieux s’en vont dans la nuit funéraire,
Chrétien, je te murmure un langage moins beau

Et ma voix ne t’est plus comme jadis amène,
Puisque tu dors si près du sororal tombeau
Ce long rêve charmé par les plaintes d’Ismène.



Voici l’heure de lune où la lande frissonne,
Où la silencieuse approche du mystère
Isole étrangement la douleur solitaire
D’un cœur qui n’en ferait confidence à personne…