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tellement que c'est était fait du Canada pour George l'hébété, s'il ne fût inopinément arrivé dans la rade du fleuve St-Laurent une flotte anglaise portant huit mille hommes de troupes aux ordres de Bourgoyne : ce qui, joint au défaut d'armes et de munitions que le Congrès avait promises et qui ne paraissaient point, fit abandonner la partie aux Américains.

Depuis cette époque, le scélérat de gouvernement anglais, au lieu de se concilier les habitants par la douceur, les a encore aigris par de nouveaux actes d'oppression. Les partisans des Américains ont été obligés de fuir et ceux qui sont restés, ont été envoyés liés en Angleterre. On a confisqué les biens des uns et des autres et les tribunaux ont poussé la rage royale au point de débouter des particuliers de leurs actions, sur le seul principe qu'on les soupçonnait rebelles et méritant par conséquent de perdre leurs biens. Cazeau, du Calvet, Jautard, Mesplet, Lusignan et plusieurs autres encore vivants éprouvèrent ces horreurs.

L'on pourrait objecter l'ignorance des Canadiens comme un obstacle à devenir libres, leurs prêtres, leurs préjugés. À ceci je réponds qu'on a une idée très imparfaite des habitants. Ceux des villes sont en possession de tous les ouvrages philosophiques; ils les lisent avec passion, ainsi que les gazettes françaises, la Déclaration des droits de l'homme et les chansons patriotiques. Ils apprennent celles-ci par cœur pour les chanter à l'ouverture d'un Club de patriotes où l'on comptait l'année dernière plus de 200 citoyens. Ce club a même défié le gouvernement en discutant publiquement les affaires de la France, ce qui, la veille, avait été défendu par une proclamation. Les prêtres dans les villes sont regardés comme ils doivent l'être, je veux dire, comme d'infâmes imposteurs qui font servir le mensonge à leur intérêt; et on regarde passer cette engeance avec aussi peu de respect qu'un troupeau de cochons. Je ne parle point de cette autre caste d'hommes méprisables et méprisés qui se stylent nobles; les misérables n'excèdent pas en nombre la dizaine et leur ignorance et leur gueuserie font pitié. Enfin, j'ose dire que la Révolution française a électrisé les Canadiens et les a plus éclairés en un an sur leurs droits naturels qu'un siècle de lecture n'aurait pu faire. Même depuis la déclaration de la guerre de la France contre l'Angleterre, tel est le progrès que les Canadiens ont fait en raison, qu'ils ne craignent point de souhaiter publiquement le dessus aux Français. Chaque jour, ils s'assemblent dans les villes par petits pelotons, se racontent les nouvelles reçues, se réjouissent quand elles sont favorables aux Français et s'affligent (mais ne désespèrent point) quand elles leur sont contraires.