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introduction, § viii.

l’œuvre de G. de Tudèle en tant que document historique et littéraire.

G. de Tudèle est à la fois clerc et jongleur, mais c’est le jongleur qui domine en lui ; non pas le jongleur de bas étage qui fait des tours ou montre des animaux savants, mais le jongleur qui compose, celui pour qui plus tard Guiraut Riquier réclamera le nom de troubadour. Le jongleur de cette catégorie ne pouvait manquer de posséder une certaine instruction. Par suite, en un temps et en des lieux où il paraît avoir été impossible de former un clergé instruit [1], on devait sans difficulté admettre dans les ordres tout homme ayant quelque teinture des lettres, eût-il exercé et dût-il continuer d’exercer une profession quelque peu profane. L’Église, d’ailleurs, qui se montrait sévère pour certaines classes de jongleurs, faisait une exception en faveur de ceux qui chantaient les gestes des princes et les vies des saints afin de procurer une récréation honnête au peuple[2].

  1. Voir le premier chapitre de la chronique de G. de Puylaurens. On sait quels efforts fit Innocent III pour renouveler le haut clergé du Midi ; mais il ne paraît pas avoir obtenu un succès bien durable. Au commencement du xive siècle Raimon del Cornet accusa les évêques d’admettre dans les ordres, moyennant finance, des gens illettrés : que a un menestayral | Fan per deniers tonsura (Raynouard, Lexique roman, I, 456, pièce placée à tort sous le nom de P. Cardinal). Plus tard dans le même siècle les clercs du Midi avaient une réputation bien établie d’ignorance, témoin ce passage du Songe du Vergier, où l’auteur, se plaignant de la mauvaise distribution des bénéfices, s’exprime ainsi : « Mais qui seront ceulx qui (= qu’ils, le pape et les siens) nous mettront en leurs lieux (au lieu des prudhommes instruits et vertueux) ? Certes bestes vestues et asnes desferrez, soient de Lymoges ou d’Auvergne, ou de la Ricordanne, ou d’autre partie de Guyenne, sans lecture et sans aucune discipline, et aucunes foys gens corrompus et plains de crime » (édit. Jehan Petit, s. d., fol. d ij r°, col. 2).
  2. « Sunt autem alii qui dicuntur joculatores, qui cantant gesta principum et vitas sanctorum et faciunt solatia hominibus in