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croisade contre les albigeois.

« Par Dieu ! beau sire oncle, puisque la faim nous presse, je ne sais autre conseil pour notre avantage sinon de manger les roussins et les destriers, car bonne fut la viande du mulet que nous mangeâmes hier[1] ; nous nous accommoderons à chaque jour d’un quartier pour cinquante. [4640] Quand nous serons à la fin, que nous aurons mangé le dernier, dès lors que chacun mange son compagnon. Celui qui est le plus mou à la défense et le plus prompt à s’effrayer, c’est droit et raison que nous commencions par lui. » R. de Roquemaure[2] frappe ses mains l’une contre l’autre : [4645] Seigneurs, moi qui l’autre jour ai abandonné mon seigneur pour le comte de Montfort, c’est la récompense que je recevrai. Il est bien droit que je le paie puisque je me reconnais coupable. » Après tous les autres, Rainier [de Chauderon] répondit ainsi : « Par Dieu ! sire Lambert, nous en ferons autrement. [4650] Guillaume de la Motte donne un conseil diabolique : jamais je n’ai trouvé bon goût à la chair humaine. Mais, lorsque les coursiers arabes seront mangés, nous avons un pain et force vin dans le cellier : au nom de Jésus-Christ, le droiturier seigneur, [4655] recevons son saint corps véritable, et puis, garnis du haubert doublier, sor-

  1. Le mulet a une chair tendre et délicate, mais il en est tout autrement de celle du cheval.
  2. Un « R. de Rocamaura, de la seigneurie de Villemur (Haute-Garonne), et par conséquent homme du comte de Toulouse, paraît dans une charte de la fin du xiie siècle (Teulet, Layettes du Trésor, no 543) ; mais il est bien douteux qu’il soit le même que celui de la chanson. Il y a plus de probabilité en faveur d’un « R. de Rocamaura, » témoin le 30 janvier 1215 à l’hommage rendu par Simon de Montfort à l’archevêque d’Arles (Molinier, Catal. no 95).