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ne s’aviſe de luy-meſme du mérite d’un autre. Les hommes ſont trop occupez d’eux-meſmes pour avoir le loiſir de pénétrer ou de diſcerner les autres de là vient qu’avec un grand mérite & une plus grande modeſtie l’on peut eſtre longtemps ignoré.

6. — Le génie & les grands talents manquent ſouvent, quelquefois auſſi les ſeules occaſions : tels peuvent eſtre louez de ce qu’ils ont fait, & tels de ce qu’ils auraient fait.

7. — Il eſt moins rare de trouver de l’eſprit que des gens qui ſe ſervent du leur, ou qui faſſent valoir celuy des autres & le mettent à quelque uſage.

8. — Il y a plus d’outils que d’ouvriers, & de ces derniers plus de mauvais que d’excellents ; que penſez-vous de celuy qui veut ſcier avec un rabot, & qui prend ſa ſcie pour raboter ?

9. — Il n’y a point au monde un ſi pénible métier que celuy de ſe faire un grand nom : la vie s’achève que l’on a à peine ébauché ſon ouvrage.

10. — Que faire dÉgéſippe, qui demande un emploi ? Le mettra-t-on dans les finances, ou dans les troupes ? Cela eſt indifférent, & il faut que ce ſoyt l’intéreſt ſeul qui en décide ; car il eſt auſſi capable de manier de l’argent, ou de dreſſer des comptes, que de porter les armes. « Il eſt propre à tout », diſent ſes amis, ce qui ſignifie toujours qu’il n’a pas plus de talent pour une choſe que pour une autre, ou en d’autres termes, qu’il n’eſt propre à rien. Ainſi la plupart des hommes occupez d’eux ſeuls dans leur jeuneſſe, corrompus par la pareſſe ou par le plaiſir, croient fauſſement dans un age plus avancé qu’il leur ſuffit d’eſtre inutiles ou dans l’indigence, afin que la république ſoyt