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ce qu’ils tiennent d’elle & de ſes principes ; ils ſortent de l’art pour l’ennoblir, s’écartent des règles ſi elles ne les conduiſent pas au grand & au ſublime ; ils marchent ſeuls & ſans compagnie, mais ils vont fort haut & pénètrent fort loin, toujours sûrs & confirmez par le ſuccès des avantages que l’on tire quelquefois de l’irrégularité. Les eſprits juſtes, doux, modérez, non ſeulement ne les atteignent pas, ne les admirent pas, mais ils ne les comprennent point, & voudraient encore moins les imiter ; ils demeurent tranquilles dans l’étendue de leur ſphère, vont juſques à un certain point qui foit les bornes de leur capacité & de leurs lumières ; ils ne vont pas plus loin, parce qu’ils ne voient rien au delà ; ils ne peuvent au plus qu’eſtre les premiers d’une ſeconde claſſe, & exceller dans le médiocre.

62. — Il y a des eſprits, ſi je l’oſe dire, inférieurs & ſubalternes, qui ne ſemblent faits que pour eſtre le recueil, le regiſtre, ou le magaſin de toutes les productions des autres génies : ils ſont plagiaires, traducteurs, compilateurs ; ils ne penſent point, ils diſent ce que les auteurs ont penſé ; & comme le choix des penſées eſt invention ils l’ont mauvais, peu juſte, & qui les détermine plutoſt à rapporter beaucoup de choſes, que d’excellentes choſes ; ils n’ont rien d’original & qui ſoyt à eux ; ils ne ſavent que ce qu’ils ont appris, & ils n’apprennent que ce que tout le monde veut bien ignorer, une ſcience aride, dénuée d’agrément & d’utilité, qui ne tombe point dans la converſation, qui eſt hors de commerce, ſemblable à une monnaie qui n’a point de cours : on eſt tout à la fois étonné de leur lecture & ennuyé de leur entretien ou de leurs ouvrages. Ce ſont ceux que les grands & le