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de Racine, & Phèdre du meſme auteur, comme l’Œdipe et les Horaces de Corneille, en ſont la preuve. Si cependant il eſt permis de faire entre eux quelque comparaiſon, & les marquer l’un & l’autre par ce qu’ils ont eu de plus propre & par ce qui éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages, peut-eſtre qu’on pourroit parler ainſi : « Corneille nous aſſujettit à ſes caractères & à ſes idées, Racine ſe conforme aux noſtres ; celuy-là peint les hommes comme ils devraient eſtre, celuy-ci les peint tels qu’ils ſont. Il y a plus dans le premier de ce que l’on admire, & de ce que l’on doit meſme imiter ; il y a plus dans le ſecond de ce que l’on reconnaît dans les autres, ou de ce que l’on éprouve dans ſoy-meſme. L’un élève, étonne, maîtriſe, inſtruit ; l’autre plaît, remue touche, pénètre. Ce qu’il a de plus beau, de plus noble & de plus impérieux dans la raiſon, eſt manié par le premier ; & par l’autre, ce qu’il y a de plus flatteur & de plus délicat dans la paſſion. Ce ſont dans celuy-là des maximes, des règles, des préceptes ; & dans celuy-ci, du goût & des ſentiments. L’on eſt plus occupé aux pièces de Corneille ; l’on eſt plus ébranlé & plus attendri à celles de Racine. Corneille eſt plus moral, Racine plus naturel. Il ſemble que l’un imite SOPHOCLE, & que I autre doit plus à EURIPIDE. »

55. — Le peuple appelle éloquence la facilité que quelques-uns ont de parler ſeuls & longtemps, jointe à l’emportement du geſte, à l’éclat de la voix, & à la force des poumons. Les pédants ne l’admettent auſſi que dans le diſcours oratoire, & ne la diſtinguent pas de l’entaſſement des figures, de l’uſage des grands mots, & de la rondeur des périodes. Il ſemble que la logique eſt l’art de convaincre