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chaleur à défendre leurs préventions, & à la faction oppoſée & à leur propre cabale ; ils découragent par mille contradictions les poètes & les muſicyens, retardent les progrès des ſciences & des arts, en leur oſtant le fruit qu’ils pourraient tirer de l’émulation & de la liberté qu’auraient pluſieurs excellents maîtres de faire, chacun dans leur genre & ſelon leur génie, de tres-bons ouvrages.

50. — D’où vient que l’on rit ſi librement au théatre, & que l’on a honte d’y pleurer ? Eſt-il moins dans la nature de s’attendrir ſur le pitoyable que d’éclater ſur le ridicule ? Eſt-ce l’altération des traits qui nous retient ? Elle eſt plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur, & l’on détourne ſon viſage pour rire comme pour pleurer en la préſence des grands & de tous ceux que l’on reſpecte. Eſt-ce une peine que l’on ſent à laiſſer voir que l’on eſt tendre, & à marquer quelque faibleſſe, ſurtout en un ſujet faux, & dont il ſemble que l’on ſoyt la dupe ? Mais ſans citer les perſonnes graves ou les eſprits forts qui trouvent du faible dans un ris exceſſif comme dans les pleurs, & qui ſe les défendent également, qu’attend-on d’une ſcène tragique ? qu’elle faſſe rire ? Et d’ailleurs la vérité n’y règne-t-elle pas auſſi vivement par ſes images que dans le comique ? l’ame ne va-t-elle pas juſqu’au vrai dans l’un & l’autre genre avant que de s’émouvoir ? eſt-elle meſme ſi aiſée à contenter ? ne luy faut-il pas encore le vraiſemblable ? Comme donc ce n’eſt point une choſe bizarre d’entendre s’élever de tout un amphithéatre un ris univerſel ſur quelque endroit d’une comédie, & que cela ſuppoſe au contraire qu’il eſt plaiſant & tres-naïvement exécuté, auſſi l’extreſme violence que chacun ſe foit à contraindre ſes larmes, & le mauvais