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leur genre, aſſez de bon & de mauvais pour former après eux de tres-grands hommes en vers & en proſe.

41. — MAROT, par ſon tour & par ſon ſtyle, ſemble avoir écrit depuis RONSARD : il n’y a guère, entre ce premier & nous, que la différence de quelques mots.

42. — RONSARD & les auteurs ſes contemporains ont plus nui au ſtyle qu’ils ne luy ont ſervi : ils l’ont retardé dans le chemin de la perfection ; ils l’ont expoſé à la manquer pour toujours & à n’y plus revenir. Il eſt étonnant que les ouvrages de Marot, ſi naturels & ſi faciles, n’aient ſu faire de Ronſard d’ailleurs plein de verve & d’enthouſiaſme, un plus grand poète que Ronſard & que Marot, et, au contraire, que Belleau, Jodelle, & du Bartas, aient été ſitoſt ſuivis d’un RACAN & d’un Malherbe, & que noſtre langue, à peine corrompue, ſe ſoyt vue réparée.

43. — MAROT & RABELAIS ſont inexcuſables d’avoir ſemé l’ordure dans leurs écrits : tous deux avaient aſſez de génie & de naturel pour pouvoir s’en paſſer, meſme à l’égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu’à rire dans un auteur. Rabelais ſurtout eſt incompréhenſible : ſon livre eſt une énigme, quoy qu’on veuille dire, inexplicable ; c’eſt une chimère, c’eſt le viſage d’une belle femme avec des pieds & une queue de ſerpent, ou de quelque autre beſte plus difforme ; c’eſt un monſtrueux aſſemblage d’une morale fine & ingénieuſe, & d’une ſale corruption. Où il eſt mauvais, il paſſe bien loin au delà du pire, c’eſt le charme de la canaille ; où il eſt bon, il va juſques à l’exquis & à l’excellent, il peut eſtre le mets des plus délicats.

44. — Deux écrivains dans leurs ouvrages ont blamé MONTAIGNE, que