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depuis longtemps ſans la connaître, & qu’il a enfin trouvée, eſt celle qui étoit la plus ſimple, la plus naturelle, qui ſembloit devoir ſe préſenter d’abord & ſans effort. Ceux qui écrivent par humeur ſont ſujets à retoucher à leurs ouvrages : comme elle n’eſt pas toujours fixe, & qu’elle varie en eux ſelon les occaſions, ils ſe refroidiſſent bientoſt pour les expreſſions & les termes qu’ils ont le plus aimez.

18. — La meſme juſteſſe d’eſprit qui nous foit écrire de bonnes choſes nous foit appréhender qu’elles ne le ſoyent pas aſſez pour mériter d’eſtre lues. Un eſprit médiocre croit écrire divinement ; un bon eſprit croit écrire raiſonnablement.

19. — « L’on m’a engagé, dit Ariſte, à lire mes ouvrages à Zoïle : je l’ai fait. Ils l’ont ſaiſi d’abord & avant qu’il ait eu le loiſir de les trouver mauvais ; il les a louez modeſtement en ma préſence, & il ne les a pas louez depuis devant perſonne. Je l’excuſe, & je n’en demande pas davantage à un auteur, je le plains meſme d’avoir écouté de belles choſes qu’il n’a point faites. » Ceux qui par leur condition ſe trouvent exempts de la jalouſie d’auteur, ont ou des paſſions ou des beſoins qui les diſtraient & les rendent froids ſur les conceptions d’autrui : perſonne preſque, par la diſpoſition de ſon eſprit, de ſon cœur & de ſa fortune, n’eſt en état de ſe livrer au plaiſir que donne la perfection d’un ouvrage.

20. — Le plaiſir de la critique nous oſte celuy d’eſtre vivement touchez de tres-belles choſes.

21. — Bien des gens vont juſques à ſentir le mérite d’un manuſcrit qu’on leur lit, qui ne peuvent ſe déclarer en ſa faveur, juſques à ce qu’ils aient vu le cours