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nourrit des anciens & des habiles modernes, on les preſſe, on en tire le plus que l’on peut, on en renfle ſes ouvrages ; & quand enfin l’on eſt auteur, & que l’on croit marcher tout ſeul, on s’élève contre eux, on les maltraite, ſemblable à ces enfants drus & forts d’un bon lait qu’ils ont ſucé, qui battent leur nourrice. Un auteur moderne prouve ordinairement que les anciens nous ſont inférieurs en deux manières, par raiſon & par exemple : il tire la raiſon de ſon goût particulier, & l’exemple de ſes ouvrages. Il avoue que les anciens, quelque inégaux & peu corrects qu’ils ſoyent, ont de beaux traits ; il les cite, & ils ſont ſi beaux qu’ils font lire ſa critique. Quelques habiles prononcent en faveur des anciens contre les modernes ; mais ils ſont ſuſpects & ſemblent juger en leur propre cauſe, tant leurs ouvrages ſont faits ſur le goût de l’antiquité : on les récuſe.

16. — L’on devroit aimer à lire ſes ouvrages à ceux qui en ſavent aſſez pour les corriger & les eſtimer. Ne vouloir eſtre ni conſeillé ni corrigé ſur ſon ouvrage eſt un pédantiſme. Il faut qu’un auteur reçoive avec une égale modeſtie les éloges & la critique que l’on foit de ſes ouvrages.

17. — Entre toutes les différentes expreſſions qui peuvent rendre une ſeule de nos penſées, il n’y en a qu’une qui ſoit la bonne. On ne la rencontre pas toujours en parlant ou en écrivant il eſt vrai néanmoins qu’elle exiſte, que tout ce qui ne l’eſt point eſt faible, & ne ſatisfait point un homme d’eſprit qui veut ſe faire entendre. Un bon auteur, & qui écrit avec ſoin, éprouve ſouvent que l’expreſſion qu’il cherchoit