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le propre de ce vice, qui n’eſt fondé ni ſur le mérite perſonnel ni ſur la vertu, mais ſur les richeſſes, les poſtes, le crédit, & ſur de vaines ſciences, de nous porter également à mépriſer ceux qui ont moins que nous de cette eſpèce de biens, & à eſtimer trop ceux qui en ont une meſure qui excède la noſtre.

58. — Il y a des ames ſales, pétries de boue & d’ordure, épriſes du gain & de l’intéreſt, comme les belles ames le ſont de la gloire & de la vertu, capables d’une ſeule volupté, qui eſt celle d’acquérir ou de ne point perdre ; curieuſes & avides du denier dix ; uniquement occupées de leurs débiteurs ; toujours inquiètes ſur le rabais ou ſur le décri des monnaies enfoncées & comme abîmées dans les contrats, les titres & les parchemins. De telles gens ne ſont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-eſtre des hommes : ils ont de l’argent.

59. — Commençons par excepter ces ames nobles & courageuſes, s’il en reſte encore ſur la terre, ſecourables, ingénieuſes à faire du bien, que nuls beſoins, nulle diſproportion, nuls artifices ne peuvent ſéparer de ceux qu’ils ſe ſont une fois choiſis pour amis ; & après cette précaution, diſons hardiment une choſe triſte & douloureuſe à imaginer : il n’y a perſonne au monde ſi bien liée avec nous de ſociété & de bienveillance, qui nous aime, qui nous goûte, qui nous foit mille offres de ſervices & qui nous ſert quelquefois, qui n’ait en ſoy, par l’attachement à ſon intéreſt, des diſpoſitions tres-proches à rompre avec nous, & à devenir noſtre ennemi.

60. — Pendant qu’Oronte augmente, avec ſes années, ſes fonds & ſes revenus, une fille naît dans quelque famille, s’élève, croit, s’embellit, & entre dans ſa ſeizième année. Il ſe foit prier à cinquante ans pour l’épouſer, jeune, belle, ſpirituelle : cet