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L’on peut s’enrichir, dans quelque art ou dans quelque commerce que ce ſoyt, par l’oſtentation d’une certaine probité.

45. — De tous les moyens de faire ſa fortune, le plus court & le meilleur eſt de mettre les gens à voir clairement leurs intéreſts à vous faire du bien.

46. — Les hommes, preſſez par les beſoins de la vie, & quelquefois par le déſir du gain ou de la gloire, cultivent des talents profanes, ou s’engagent dans des profeſſions équivoques, & dont ils ſe cachent long temps à eux-meſmes le péril & les conſéquences : ils les quittent enſuite par une dévotion diſcrète, qui ne leur vient jamais qu’après qu’ils ont foit leur récolte, & qu’ils jouiſſent d’une fortune bien établie.

47. — Il y a des misères ſur la terre qui ſaiſiſſent le cœur ; il manque à quelques-uns juſqu’aux aliments ; ils redoutent l’hiver, ils appréhendent de vivre. L’on mange ailleurs des fruits précoces, l’on force la terre & les ſaiſons pour fournir à ſa délicateſſe, de ſimples bourgeois, ſeulement à cauſe qu’ils étaient riches, ont eu l’audace d’avaler en un ſeul morceau la nourriture de cent familles. Tienne qui voudra contre de ſi grandes extrémitez : je ne veux eſtre, ſi je le puis, ni malheureux ni heureux ; je me jette & me réfugie dans la médiocrité.

48. — On ſçait que les pauvres ſont chagrins de ce que tout leur manque, & que perſonne ne les ſoulage ; mais s’il eſt vrai que les riches ſoyent colères, c’eſt de ce que la moindre choſe puiſſe leur manquer, ou que quelqu’un veuille leur réſiſter.

49. — Celuy-là eſt riche, qui reçoit plus qu’il ne conſume ; celuy-là eſt pauvre, dont la dépenſe excède la recette.