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en parti juſques à l’harmonie : il faudrait, s’il en étoit cru, que le peuple, pour avoir le plaiſir de le voir riche, de luy voir une meute & une écurie, pût perdre le ſouvenir de la muſique d’Orphée, & ſe contenter de la ſienne.

29. — Ne traitez pas avec Criton, il n’eſt touché que de ſes ſeuls avantages. Le piège eſt tout dreſſé à ceux à qui ſa charge, ſa terre, ou ce qu’il poſſède feront envie : il vous impoſera des conditions extravagantes. Il n’y a nul ménagement & nulle compoſition à attendre d’un homme ſi plein de ſes intéreſts & ſi ennemi des voſtres : il luy faut une dupe.

30. — Brontin, dit le peuple, foit des retraites, & s’enferme huit jours avec des ſaints : ils ont leurs méditations, & il a les ſiennes.

31. — Le peuple ſouvent a le plaiſir de la tragédie : il voit périr ſur le théatre du monde les perſonnages les plus odieux, qui ont foit le plus de mal dans diverſes ſcènes, & qu’il a le plus haïs.

32. — Si l’on partage la vie des P. T. S. en deux portions égales, la première, vive & agiſſante, eſt toute occupée à vouloir affliger le peuple, & la ſeconde, voiſine de la mort, à ſe déceler & à ſe ruiner les uns les autres.

33. — Cet homme qui a foit la fortune de pluſieurs, qui a foit la voſtre, n’a pu ſoutenir la ſienne, ni aſſurer avant ſa mort celle de ſa femme & de ſes enfants : ils vivent cachez & malheureux. Quelque bien inſtruit que vous ſoyez de la misère de leur condition, vous ne penſez pas à l’adoucir ; vous ne le pouvez pas en effet, vous tenez table, vous batiſſez ; mais vous conſervez par reconnaiſſance le portroit de votre bienfacteur, qui a paſſé à la vérité du cabinet à l’antichambre : quels égards ! il pouvoit aller au garde-meuble.

34. —