ils me diſent que vous eſtes ſorti. Que faites-vous, Clitiphon, dans cet endroit le plus reculé de votre appartement, de ſi laborieux, qui vous empeſche de m’entendre ? Vous enfilez quelques mémoires, vous collationnez un regiſtre, vous ſignez, vous parafez. Je n’avais qu’une choſe à vous demander, & vous n’aviez qu’un mot à me répondre, oui, ou non. Voulez-vous eſtre rare ? Rendez ſervice à ceux qui dépendent de vous : vous le ſerez davantage par cette conduite que par ne vous pas laiſſer voir. Ô homme important & chargé d’affaires, qui à votre tour avez beſoin de mes offices, venez dans la ſolitude de mon cabinet : le philoſophe eſt acceſſible ; je ne vous remettrai point à un autre jour. Vous me trouverez ſur les livres de Platon qui traitent de la ſpiritualité de l’ame & de ſa diſtinction d’avec le corps, ou la plume à la main pour calculer les diſtances de Saturne & de Jupiter : j’admire Dieu dans ſes ouvrages, & je cherche par la connaiſſance de la vérité, à régler mon eſprit & devenir meilleur. Entrez, toutes les portes vous ſont ouvertes, mon antichambre n’eſt pas faite pour s’y ennuyer en m’attendant ; paſſez juſqu’à moy ſans me faire avertir. Vous m’apportez quelque choſe de plus précieux que l’argent & l’or, ſi c’eſt une occaſion de vous obliger. Parlez, que voulez-vous que je faſſe pour vous ? Faut-il quitter mes livres, mes études, mon ouvrage, cette ligne qui eſt commencée ? Quel le interruption heureuſe pour moy que celle qui vous eſt utile ! Le manieur d’argent, l’homme d’affaires eſt un ours qu’on ne ſauroit apprivoiſer ; on ne le voit dans ſa loge qu’avec peine : que dis-je ? on ne le voit point ; car d’abord on ne le voit pas encore, & bientoſt on ne le voit plus. L’homme de lettres au contraire eſt trivial
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