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aborder le premier, ni saluer avant qu’il me salue, sans m’avilir à ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu’il a de lui-même. MONTAIGNE dirait : « Je veux avoir mes coudées franches, et estre courtois et affable à mon point, sans remords ne conséquence. Je ne puis du tout estriver contre mon penchant, et aller au rebours de mon naturel, qui m’emmeine vers celuy que je trouve à ma rencontre. Quand il m’est égal, et qu’il ne m’est point ennemy, j’anticipe sur son accueil, je le questionne sur sa disposition et santé, je luy fais offre de mes offices sans tant marchander sur le plus ou sur le moins, ne estre, comme disent aucuns, sur le qui vive. Celuy-là me deplaist, qui par la connoissance que j’ay de ses coutumes et façons d’agir, me tire de cette liberté et franchise. Comment me ressouvenir tout à propos, et d’aussi loin que je vois cet homme, d’emprunter une contenance grave et importante, et qui l’avertisse que je crois le valoir bien et au delà ? pour cela de me ramentevoir de mes bonnes qualitez et conditions, et des siennes mauvaises, puis en faire la comparaison. C’est trop de travail pour moy, et ne suis du tout capable de si roide et si subite attention et quand bien elle m’auroit succedé une première fois, je ne laisserois de flechir et me dementir à une seconde tâche : je ne puis me forcer et contraindre pour quelconque à estre fier. »

31. — Avec de la vertu, de la capacité, et une bonne conduite, l’on peut être insupportable. Les manières, que l’on néglige comme de petites choses, sont souvent ce qui fait que les hommes décident de vous en bien ou en mal : une légère attention à les avoir douces et polies prévient leurs mauvais jugements. Il ne faut presque rien pour être cru fier, incivil, méprisant, désobligeant : il faut encore moins pour être estimé tout le contraire.

32. — La politesse