Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/129

Cette page n’a pas encore été corrigée

aucun de ſes défauts, & ſe montre au contraire par ſes mauvais endroits, qui eſt avare, qui eſt trop négligé dans ſon ajuſtement, bruſque dans ſes réponſes, incivil, froid & taciturne, peut eſpérer de défendre le cœur d’une jeune femme contre les entrepriſes de ſon galant, qui emploie la parure & la magnificence, la complaiſance, les ſoyns, l’empreſſement, les dons, la flatterie.

75. — Un mari n’a guère un rival qui ne ſoyt de ſa main, & comme un préſent qu’il a autrefois foit à ſa femme. Il le loue devant elle de ſes belles dents & de ſa belle teſte ; il agrée ſes ſoyns ; il reçoit ſes viſites ; & après ce qui luy vient de ſon cru, rien ne luy paroit de meilleur goût que le gibier & les truffes que cet ami luy envoie. Il donne à ſouper, & il dit aux conviez : « Goûtez bien cela ; il eſt de Léandre, et il ne me coûte qu’un grand merci. »

76. — Il y a telle femme qui anéantit ou qui enterre ſon mari au point qu’il n’en eſt foit dans le monde aucune mention : vit-il encore ? ne vit-il plus ? on en doute. Il ne ſert dans ſa famille qu’à montrer l’exemple d’un ſilence timide & d’une parfaite ſoumiſſion. Il ne luy eſt dû ni douaire ni conventions, mais à cela près, & qu’il n’accouche pas il eſt la femme, & elle le mari. Ils paſſent les mois entiers dans une meſme maiſon ſans le moindre danger de ſe rencontrer, il eſt vrai ſeulement qu’ils ſont voiſins. Monſieur paye le roſtiſſeur & le cuiſinier, & c’eſt toujours chez Madame qu’on a ſoupé. Ils n’ont ſouvent rien de commun ni le lit, ni la table pas meſme le nom : ils vivent à ; a romaine ou à la grecque ; chacun a le ſien ; & ce n’eſt qu’avec le temps, & après qu’on eſt initié au jargon d’une ville, qu’on ſçait enfin que M. B… eſt publiquement depuis vingt