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dans leur loge à la comédie ; il foit avec elles les meſmes viſites ; il les accompagne au bain, aux eaux, dans les voyages ; il a le plus commode appartement chez elles à la campagne. Il vieillit ſans déchoir de ſon autorité : un peu d’eſprit & beaucoup de temps à perdre luy ſuffit pour la conſerver ; les enfants, les héritiers, la bru, la nièce les domeſtiques, tout en dépend. Il a commencé par ſe faire eſtimer ; il finit par ſe faire craindre. Cet ami ſi ancien, ſi néceſſaire, meurt ſans qu’on le pleure, & dix femmes dont il étoit le tyran héritent par ſa mort de la liberté.

46. — Quelques femmes ont voulu cacher leur conduite ſous les dehors de la modeſtie, & tout ce que chacune a pu gagner par une continuelle affectation, & qui ne s’eſt jamais démentie, a été de faire dire de ſoy : On l’auroit priſe pour une veſtale.

47. — C’eſt dans les femmes une violente preuve d’une réputation bien nette & bien établie, qu’elle ne ſoyt pas meſme effleurée par la familiarité de quelques-unes qui ne leur reſſemblent point ; & qu’avec toute la pente qu’on a aux malignes explications, on ait recours à une tout autre raiſon de ce commerce qu’à celle de la convenance des mœurs.

48. — Un comique outre ſur la ſcène ſes perſonnages ; un poète charge ſes deſcriptions ; un peintre qui foit d’après nature force & exagère une paſſion, un contraſte, des attitudes ; & celuy qui copie, s’il ne meſure au compas les grandeurs & les proportions, groſſit ſes figures, donne à toutes les pièces qui entrent dans l’ordonnance de ſon tableau plus de volume que n’en ont celles de l’original : de meſme la pruderie eſt une imitation de la ſageſſe. Il