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DES FEMMES


1. — Les hommes & les femmes conviennent rarement ſur le mérite d’une femme : leurs intéreſts ſont trop différents. Les femmes ne ſe plaiſent point les unes aux autres par les meſmes agréments qu’elles plaiſent aux hommes : mille manières qui allument dans ceux-ci les grandes paſſions, forment entre elles l’averſion & l’antipathie.

2. — Il y a dans quelques femmes une grandeur artificielle, attachée au mouvement des yeux, à un air de teſte, aux façons de marcher, & qui ne va pas plus loin ; un eſprit éblouiſſant qui impoſe, & que l’on n’eſtime que parce qu’il n’eſt pas approfondi. Il y a dans quelques autres une grandeur ſimple, naturelle, indépendante du geſte & de la démarche, qui a ſa ſource dans le cœur, & qui eſt comme une ſuite de leur haute naiſſance ; un mérite paiſible, mais ſolide, accompagné de mille vertus qu’elles ne peuvent couvrir de toute leur modeſtie, qui échappent, & qui ſe montrent à ceux qui ont des yeux.

3. — J’ai vu ſouhaiter d’eſtre fille, & une belle fille, depuis treize ans juſques à vingt-deux, & après cet age, de devenir un homme.

4. — Quelques jeunes perſonnes ne connaiſſent point aſſez les avantages d’une heureuſe nature, & combien il leur ſeroit utile de s’y abandonner ; elles affaibliſſent ces dons du ciel, ſi rares & ſi fragiles, par des manières affectées & par une mauvaiſe imitation : leur ſon de voix & leur démarche ſont empruntez ; elles ſe compoſent, elles ſe recherchent, regardent dans